2014
Par Paul Nyzam
Le Rose du Bleu, (RE 22), 1960 ca.
![]() | Pigment pur et résine synthétique, éponges naturelles et cailloux sur panneau 153 x 199 cm |
Spirituel, pour ne pas dire mystique, Yves Klein accorde à ces trois couleurs les fonctions d’une Sainte Trinité : à l’or, le Père ; au bleu, le Fils ; au rose, le Saint Esprit. Interdépendantes les unes des autres, elles forment en même temps l’équation alchimique réunissant le soleil (l’or), l’eau (le bleu) et le sang (le rose). Le rose est aussi la troisième composante de la flamme du feu qui, si l’on y prête attention un instant, se révèle tour à tour bleue, jaune et rose/rouge, selon l’intensité de sa température.
Ainsi, en clôturant ce panthéon chromatique en trois temps, le rose annonce les peintures de feu auxquelles s’attèlera l’artiste à partir de 1961 et qui l’occuperont jusqu’à sa mort. Lorsqu’elles sont imprégnées de pigment rose, les éponges naturelles – matériau brut, vivant, venu des profondeurs sous-marines – offrent au public le spectacle d’une présence irréelle, suggérant le relief d’une planète de feu ou l’écorce d’un monde non visible. C’est que, comme le bleu et l’or, le rose répond à l’ambition d’Yves Klein de rendre visible l’immatériel, de donner à voir autant qu’à ressentir le vertige de l’infini. Il ne s’agit pas d’un rose vif, qui éclaterait à la façon de la pourpre impériale ou de l’incarnat. Le rose de Klein est au contraire une laque de garance, à la teinte rose carminé, empreinte d’une sensualité inimitable, délicate et éthérée, comme une caresse. Le rose, couleur de l’amour et de la chair, du cœur et de l’esprit réunis. Dès lors, peut-être davantage encore que le bleu et l’or, le rose incarne la double dimension de l’œuvre d’Yves Klein, éminemment sensuelle et sensible en même temps qu’inconditionnellement immatérielle et spirituelle."
Paul Nyzam, spécialiste en art contemporain, 2014