A la fin de février 1961, après l'ouverture de son exposition rétrospective au Musée de Krefeld en Allemagne, l'artiste français Yves Klein prend congé du Directeur du Musée, le Dr. Wember et se rend au monastère de Sainte Rita da Cascia en Ombrie, dans la province de Pérouge, en compagnie de Rotraut Uecker sa future femme. Le but de ce voyage est d'apporter un ex-voto destiné à la Sainte et qu'il remettra sans se faire connaître, à la sœur tourière de service à la porte de la clôture du convent des Sœurs Augustines. Les Augustines suivent la règle de Saint Benoît, "adoucie" lorsqu'elles accomplissent la garde des malades ou le service des hôpitaux. Le Monastère de Sainte Rita da Cascia a la charge exclusive de l'entretien du sanctuaire et du culte de la Sainte.
L'ex-voto déposé par Yves Klein en février 1961 consiste en un coffret de plastique transparent de 22 X 15 cm approximativement, divisé en plusieurs compartiments.
La partie supérieure se compose de trois bacs remplis respectivement de pigment bleu outremer (le bleu I.K.B.), de pigment rose (monopink) et de feuilles d'or (monogold).
La partie inférieure sur toute sa longueur contient trois lingots d'or de poids différent reposant sur un lit de pigment bleu. Les lingots d'or fin sont le produit des quatre premières ventes de zones de sensibilité picturale immatérielle: Yves Klein vendait au prix de l'or des zones de sensibilité, de l'espace à l'état pur imprégné de sa présence; la transaction se faisait au moyen d'un chèque. Si l'acquéreur était disposé à brûler intégralement le chèque, C'est à dire son titre de propriété, la totalité de l'or était restituée au cosmos. Dans le cas contraire, seule une partie de l'or était jetée à la Seine, l'autre partie revenait momentanément à Yves Klein, qui n'en était dépositaire qu'à titre provisoire et précaire. (…) Dans son ex-voto Yves Klein offre à Sainte Rita l'or dont il était demeuré dépositaire à la suite de ces premières cessions, trois des acquéreurs ayant conservé le chèque-témoin et le quatrième l'ayant détruit plus tardivement, un certain temps après la vente.
La partie centrale du coffret consiste en une large fente dans laquelle a été déposé un texte manuscrit d'Yves Klein sur sept feuilles de papier réunies par un fil de coton très fin. Le texte constitue un véritable hymne d'action de grâces à Sainte Rita: après l'avoir remerciée de ses précédentes faveurs, Yves Klein se place sous la protection de la Sainte et invoque son aide pour assurer succès, beauté et survie éternelle à son œuvre.
L'ex-voto anonyme avait été conservé par les sœurs dans le dépôt des offrandes au sanctuaire. A la suite du tremblement de terre de 1979 qui avait endommagé la coupole de la Basilique et son revêtement à fresques, une réfection s'imposait. Rosario Scrimieri, l'architecte responsable des travaux, chargea le peintre Armando Marocco d'exécuter une série de vitraux modernes pour la presbytère de la Basilique. L'artiste au cours de son travail eut besoin d'or à la feuille et en réclama au personnel du monastère. Les sœurs apportèrent l'ex-voto d'Yves Klein.
Marocco raconte : "Le jour de la découverte exceptionnelle de l'œuvre de Klein, le Vendredi 21 décembre, étant donné que le travail des fenêtres destinées à contenir les vitraux nécessitait de l'or en feuilles, nous demandâmes à l'Abbesse si elle n'en avait pas, par hasard, un peu, quelque part. Peu après on nous apporta des feuilles d'or pur et une caisse qui semblait contenir des poudres colorées pour la restauration des fresques. Tandis que l'architecte Scrimieri, surpris par le contenu et par l'exceptionnelle exécution du récipient en perspex, l'analysait attentivement, je m'aperçus que nous nous trouvions devant une découverte sensationnelle : une œuvre de Klein dédiée à Sainte Rita da Cascia."
A son retour à Milan où il réside depuis de nombreuses années, Marocco me fit contacter par l'intermédiaire de Guido Le Noci (le marchand "inspiré" chez qui j'ai présenté le 2 janvier 1957 et en première mondiale l'époque bleue d'Yves Klein, l'Epoca Blu, les premiers IKB). La rencontre eut lieu le 19 mai 1980. Un rendez-vous fut pris avec les autorités ecclésiastiques pour le 18 juin suivant à Cascia. Je pus ainsi m'entretenir avec la Mère Supérieure du couvent pendant une séance de près d'une heure au parloir, authentifier l'ex-voto, faire prendre des photographies de l'œuvre et des photos-copies du texte, avec l'assentiment de la hiérarchie.
La dévotion d'Yves Klein au culte de Sainte Rita (culte très populaire à Nice, ville natale d'Y.K.) m'était bien connue : il y avait été initié par sa propre tante, Rose Raymond-Gasperini. Il m'avait fait part de ses précédents pèlerinages à Cascia. Il y vint deux fois avant 1961, pour prier la Sainte des causes "désespérées" et l'adjurer de l'aider dans les moments importants et critiques de sa carrière. Je suis convaincu que l'ex-voto n'est pas la seule offrande d'Yves Klein à la Sainte, comme en témoigne l'exemplaire du catalogue de Krefeld qui lui est dédicacé, et qui est conservé au monastère. Nulle trace de tableau, néanmoins n'a pu être retrouvée pour l'instant. Le texte qui vient d'être retrouvé témoigne sans ambages, au-delà de tout rituel fétichiste chez l'artiste, de la profondeur et de la vérité de sa foi. L'invocation de Sainte Rita, l'appel à son intercession constituent le pivot de la prière chez Yves Klein, l'apex de sa pratique spirituelle au sein du rituel dogmatique, de la référence à Dieu le Père, à Jésus Christ le Fils, au Saint Esprit et à la Vierge Marie: la méditation sur l'Art Absolu, le Vide, l'Energie Vitale. La publication de ce document prend tout son sens, à l'occasion de la célébration du 6ème centenaire de la naissance de la Sainte.
Pierre Restany, extrait du livre "Yves Klein e la mistica di Santa Rita da Cascia", Editoriale Domus, p. 15