Yves Klein vient de mourir à 34 ans, d'une crise cardiaque, le 6 juin 1962.
Cette mort subite — un véritable scandale logique — l'a fauché en plein essor ; il laisse derrière lui des monceaux de notes, d'idées ébauchées, de plans grandioses. Sa brève existence, il l'a vécue à un rythme fulgurant. Il était exclusif et entier dans ses passions comme dans ses actes, parce qu'il voulait faire vite et bien.
Il réussissait toutes ses entreprises parce qu'il avait la foi des grands visionnaires et leur rayonnement spirituel, étrangement communicatif. Sa carrière est ainsi jalonnée d'étapes-conquêtes qui sont autant de mythes incarnés dans les faits : la proposition monochrome (conçue dès 1946), l'époque bleue (1957) ; l'époque pneumatique (1958), les Anthropométries (1960), l'Or frémissant et l'Immatériel (1960), les Cosmogonies, les peintures et les sculptures de feu (1961).
En moins de dix ans Yves Klein a fait deux fois le tour du monde et conquis les plus hauts grades du judo au Japon ; exposé une trentaine de fois, à Tokyo, Londres, Paris, Nice, Düsseldorf, New York, Los Angeles ; parlé en Sorbonne (« L'évolution de l'art vers l'immatériel »); bâti une architecture de l'air et de la climatisation de l'espace ; décoré de façon monumentale l'opéra de Gelsenkirchen ; tourné plusieurs films ; rédigé des centaines de notes de travail et publié deux ouvrages théoriques, l'un sur le judo, l'autre sur le « dépassement de la problématique de l'art ». On demeure confondu devant une telle vitalité. Ce visionnaire exalté projetait dans le présent tous les mythes du futur. Sa pensée était cosmogonique, sa soif d'absolu totale. Cédant à la tentation prométhéenne, il s'était annexé d'emblée toutes les manifestations de l'Élémentaire, le Vent, la Pluie, la Foudre ; il construisait sur l'air avec l'air ; il domestiquait enfin le feu.
Son urgence expressive qui était sans frontières [sic] ne se reconnaissait aucun domaine réservé. Pour Yves Klein il n'y avait pas de problème (physique ou métaphysique), mais des réponses. Là résidait le secret de sa force, mais de son humaine fragilité aussi. La Voie Royale d'Yves partait du Bleu pour aboutir au Vide : la trajectoire était météorique. Nous l'avons vu disparaître, éblouis, les yeux secs de stupeur, incapables de pleurer. Larmes bien inutiles d'ailleurs : sa légende ne fera que grandir et avec elle une nouvelle dimension de son immuable présence.
Pierre Restany, texte écrit le 9 juin 1962, Cimaise, n° 60, juillet-août 1962