"Comme le monochrome nous inonde de son silence – … rayonnement… –, la Symphonie d'Yves Klein nous plonge dans le sien – résonance…
Le 9 mars 1960, à 22 heures, dans le grand salon de la Galerie Internationale d'Art Contemporain de Maurice d'Arquian, devant un parterre d'une centaine d'invités, retentit la Symphonie monoton. Trois modèles nus entrent en scène. Au moyen d'une éponge, elles s'enduisent le corps de couleur bleue et s'impriment sur le papier. Seules résonnent les voix et les cordes de l'orchestre dans un accord unique et continu.
Yves Klein dit avoir eu l'intuition de cette symphonie à vingt ans, en 1947 ou 1949. Elle noue ainsi son histoire à toute l'œuvre à venir, dont elle est comme l'archétype. Dès le commencement, musique et peinture se vouent à la valeur unique, qu'elle soit note ou bien couleur.
La musicienne et compositrice Eliane Radigue est une amie intime d'Yves Klein. Elle a travaillé aux côtés de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry au sein du Club d'Essai de la Radiodiffusion-Télévision française, où s'invente la musique concrète électro-acoustique. En 1959, par son entremise, Yves Klein rencontre le compositeur Louis Saguer et lui confie la mise en œuvre de la symphonie qui le hante depuis dix ans. Parmi tous les accords auxquels celui-ci réfléchit, et qui vont des plus simples aux plus sophistiqués, en tonal simple, atonal simple, etc., c'est le plus élémentaire que retient Yves Klein : un accord de ré majeur.
L'œuvre consiste en un "son contenu" qui cède subitement à un silence total. La durée est variable. La Symphonie peut se diviser en une première séquence de 5 à 7 minutes suivie d'un silence "absolu" ou bien en deux moitiés égales de 20 minutes. Sur la partition, Klein mentionne un orchestre de trois pupitres : cordes (10 violons, 10 violoncelles, 3 contrebasses), cuivres (3 cors) et bois (8 flûtes et 8 hautbois). Il y ajoute un chœur de 20 chanteurs, divisé en deux groupes qui se relaient. Le choix et le volume des pupitres dépendent de l'acoustique du lieu d'exécution. Le 9 mars 1960, à la galerie d'Arquian, Alain Bancquart, élève de Louis Saguer, réunit six cordes et trois choristes. L'important est de produire "l'effet saisissant que demandait Yves", écrit Philippe Arrii-Blachette, qui dirigea la Symphonie en présence d'Yves Klein, pour l'enregistrement le 17 juillet 1961 d'une séance d'anthropométries destinée au film documentaire Mondo Cane (1962), en compétition officielle à Cannes."
Extrait du livre "Embrasure", par Frédéric Prot, Editions 5 continents, Milan, Italie, 2012