Les peintures bleues monochromes d’Yves Klein vous prennent entièrement au dépourvu lorsque vous entrez dans la galerie de Leo Castelli. Cela vous donne la même sensation unique que lorsque vous voyez une des merveilles du monde pour la première fois, une de ces merveilles gigantesques comme le Grand Canyon.
Tout le monde a pu vous prévenir que c’était grand, impressionnant, incroyable ; mais personne ne vous a dit à quel point sa taille était mesurée par son immense, presque insoutenable, silence.
Quel silence ! Sa grandeur est celle de l’absence. Il n’y a absolument aucun bruit. Voici l’effet que produisent les Monochromes de Klein. Leur pouvoir est issu de leur absence.
L’un mesure 4,5 mètres. Les autres ne sont pas petits. Tous sont peints avec ce même bleu électrique, le bleu Klein. Les surfaces attirent l’œil. Vous vous rapprochez du tableau afin d’inspecter de plus près ces différentes textures. Vous comparez un tableau avec l’autre. Si vous avez assez de chance pour vous retrouver seul dans la galerie, vous ressentez ce monochrome bleu intense vous envahir. À chaque fois que vous vous retournez, il est là. Certaines surfaces sont empreintes de traces de doigts, d’autres ont des petites bulles, certaines sont ondulées et d’autres encore ont une texture de mousse.
Face à ce phénomène, vous prenez peur que vos jambes ne vous lâchent et que vous ne tombiez dans ce vide. C’est alors cette peur du vertige qui vous fait vous retourner précipitamment sous prétexte d’aller voir les autres œuvres de Klein, les sculptures des Obélisques et les Éponges — mais il n’y a aucune issue, cette couleur bleue entre le cobalt et l’indigo, ce bleu de l’espace infini vous poursuit, vous colle à la peau, et l’appréciation de cette sensibilité pure dépend de votre tolérance à la monomanie controversée du « flux spirituel » de Klein.
Roland F. Pease, Jr. Art International, Juin 1961