Une rue à Fontenay-aux-Roses, bordée de pavillons. Du haut d’un mur, un homme s’élance dans le vide. Un cycliste, indifférent, s’éloigne. L’homme, c’est Yves Klein. Image incroyable, devenue icône de l’art du XXe siècle, cette photographie est composée par l’artiste pour la couverture de Dimanche, quotidien d’un seul numéro (27 novembre 1960) destiné à contrecarrer les critiques et à clarifier ses positions. Klein y mêle divers textes sur son dépassement de l’art et le théâtre du vide.
Titrée Un homme dans l’espace, la photographie comporte une simple légende pensée comme un slogan : « Le peintre de l’espace se jette dans le vide ». Le geste est héroïque, sublime et poétique. Un homme défie les lois de la nature pour mieux certifier combien l’espace et le vide constituent son royaume.
Quant à la réalisation technique, elle fut complexe. Dans cette rue où se situait un ancien club de judo, Klein s’élance d’un pilier vers une bâche tenue par ses amis judokas. Cinq essais sont nécessaires. Dans les derniers, l’artiste effectue le kata des oiseaux, plus précisément celui de l’aigle. Loin de tomber, il semble alors prendre son envol vers l’infini. Deux photographes, Harry Shunk et Janos Kender, immortalisent la scène avant de capter la rue, vide cette fois. Cette œuvre célèbre résulte donc d’un habile photomontage.
Mais Le Saut dans le vide marque aussi un tournant essentiel dans la vie de Klein : il annonce alors son arrêt définitif de la pratique du judo pour se consacrer uniquement à son art.
Dans les années 1970, des reproductions circulent, intensément, internationalement aussi. Son côté performatif et absolu fascine au point de susciter quelques vocations artistiques, de John Baldessari à Paul McCarthy, en passant par Chris Burden.
extrait du hors-série "Yves Klein Intime", édité par Connaissance des arts à l'occasion de l'exposition présentée à l'Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence en 2022