• Écrits sur les Cosmogonies

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Écrits sur les Cosmogonies

Yves Klein

"Je comprends à présent que la marque spirituelle de ces états-moments, je l’ai, par mes monochromes. La marque des états-moments de la chair, je l’ai aussi par les empreintes arrachées aux corps de mes modèles.

...Mais la marque des états-moments de la nature ?

… Je bondis dehors et me voilà au bord de la rivière, dans" "les joncs et dans les roseaux. Je pulvérise de la couleur sur tout cela et le vent qui fait plier les fines tiges vient les appliquer avec précision et délicatesse sur ma toile que je présente ainsi à la nature frémissante: j’obtiens une marque végétale. Puis il se met à pleuvoir une pluie fine de printemps ; j’expose ma toile à la pluie et le tour est joué. J’ai la marque de la pluie ! une marque d’événement atmosphérique.

(...)

Il devient tout à fait naturel que le modèle sorte enfin avec moi de l’atelier et que, moi, je prenne les empreintes de la nature et que le modèle soit là soudain, en place, dans la nature, et marque aussi la toile là où elle se sent bien, dans l’herbe, dans les roseaux, au bord de l’eau ou sous la cascade, nue, d’une manière statique ou en mouvement, en vrai sujet de cette nature et enfin intégrée complètement. Tous les événements des « sujets » de la nature, hommes, animaux, végétaux, minéraux, et les circonstances atmosphériques, tout cela m’intéresse pour mes naturemétries."

Yves le monochrome 1960. Le vrai devient réalité


"Il y a quelques mois, par exemple, je ressentis l’urgence d’enregistrer les signes du comportement atmosphérique en recevant sur une toile les traces instantanées des averses du printemps, des vents du sud et des éclairs (est-il besoin de préciser que cette dernière tentative se solda par une catastrophe ?). Par exemple, un voyage de Paris à Nice aurait été une perte de temps si je ne l’avais pas mis à profit pour faire un enregistrement du vent. Je plaçai une toile, fraîchement enduite de peinture, sur le toit de ma blanche Citroën. Et tandis que j’avalais la nationale 7 à cent kilomètres à l’heure, la chaleur, le froid, la lumière, le vent et la pluie firent en sorte que ma toile se trouva prématurément vieillie. Trente ou quarante ans au moins se trouvaient réduits à une seule journée. La seule chose ennuyeuse dans ce projet était que de tout le voyage je ne pouvais me séparer de ma peinture. Les empreintes atmosphériques que j’enregistrais il y a quelques mois avaient été précédées d’empreintes végétales. Après tout, mon but est d’extraire et d’obtenir la trace de l’immédiat dans les objets naturels, quelle qu’en soit l’incidence – que les circonstances en soient humaines, animales, végétales ou atmosphériques."

Yves Klein, Manifeste de l’hôtel Chelsea, 1961