Yves Klein pratique le judo depuis déjà cinq ans quand il arrive à Yokohama en septembre 1952. Plusieurs mois durant, il va refonder sa pratique au sein de l'illustre Kōdōkan de Tokyo. En février 1954, enfin il regagne l'Europe, nanti d'une rare ceinture noire 4e dan, décrochée le 18 décembre 1953. Dans toute son œuvre, le judo se prolongera, comme lui-même le reconnaîtra . Le Kōdōkan plaçait au cœur de son enseignement les principes spirituels.
Le Kiai est un cri de combat dont le sens et l'effet le fascinent jaillissant au moment de la phase décisive, le Kiai est l'unité fulgurante de volonté et d'action. « Kiai et Aiki sont des manières, dynamiques ou statiques, de vaincre avec la seule énergie profonde, interne, de l'homme ; cette force indéfinissable est Ki ». En artiste judoka, Klein recherche ce souffle et cette volonté radiante. « Le vrai judoka pratique en esprit et en sensibilité pure ». « Ma présence en action dans l'espace donné créera le climat et l'ambiance rayonnante picturale qui règne habituellement dans tout atelier d'artiste doté d'un réel pouvoir ».
Yves Klein signale une analogie formelle et spirituelle entre l'évolution de ses modèles sur le papier et celle du judoka sur le tatami. Se faire pinceau vivant rejoint la spiritualité et le geste de cet art dont le nom signifie déjà la Voie de la Souplesse. Grâce et force, à l'image de La Vague (1831) d'Hokusai, qui illustre la première partie des Fondements du Judo, qu'Yves Klein publie chez Grasset en 1954, à son retour du Japon. Robert Godet, qui accueille dans son salon le 5 juin 1958 la première séance anthropométrique, est un étonnant personnage, passionné d'hindouisme et éditeur de peintres et de pœ̀tes. Comme Yves Klein, il est un judoka aguerri. Dans un bref opuscule intitulé Le Judo de l'Esprit, il écrit en 1964 : « Le Tapis c'est le Monde / Le Kimono c'est le Mental / La Ceinture c'est la Volonté / Le Hara c'est la Foi / La Prise c'est le Détachement / L'Attention c'est la Conscience / L'Adversaire c'est Soi-même ». Monochromes, empreintes de la chair, peintures de feu, tapis de judo : tout cela en effet est une scène et un monde qui survient.
Le Kata – « forme fondamentale » – puise aux sources du judo en perpétuant la tradition des maîtres. « Il y a entre [le Kata et le Randori] une profonde relation. La même que celle que nous trouvons entre la grammaire et la composition. La grammaire enseigne les règles ; les fondements de l'écriture et du parler corrects, c'est le Kata. La composition ou l'exercice libre, c'est le Randori . » Avant d'atteindre à cette liberté du geste, il faut le structurer par un apprentissage patient des Katas. Il en ira de même pour les modèles anthropométriques. « On faisait d'abord de multiples répétitions, glissades, roulés, chutes, renversements, écrit Yves Klein. Des heures de mise au point pour une exécution de quelques minutes d'une extrême précision. Comme pour un assaut de judo. »
Extrait du livre "Embrasure", par Frédéric Prot, Editions 5 continents, Milan, Italie, 2012