Née à Turin, Elena Palumbo-Mosca fit la connaissance d'Yves Klein lorsqu'elle était jeune-fille au pair à Nice chez Arman et Éliane Radigue car c’était un grand ami du couple. Elle se lia d'amitié avec lui et fut l'un de ses modèles.
"Quand on me demande….
Aujourd’hui, quand on me demande de parler de mon expérience de « modèle » d’Yves, il ne m’est pas facile de retrouver et de résumer avec des mots des sensations et des idées qui étaient alors pour moi normales et naturelles. C’est ainsi que je vivais : je voulais tout connaître, tout essayer, trouver un sens à la vie, tout en étant obligée d’apprendre l’art assez amer de la survie au quotidien.
Rotraut et moi étions très proches : auparavant, lorsque nous étions chez Arman à Nice, où nous avions toutes les deux rencontré Yves, nous nous sentions - je crois - un peu comme deux sœurs : deux jeunes femmes seules et enthousiastes, cherchant à comprendre qui elles étaient dans le vaste monde. Ensuite, à Paris, nous passions souvent des soirées ensemble à la Rue Campagne Première, parlant, blaguant et partageant nos idées et émotions.
Ainsi, plus tard, il fut tout à fait naturel qu’Yves me demandât de participer à son travail, tant pour les Anthropométries bleues que pour les empreintes d’eau et de feu. Il me connaissait, il savait que je savais utiliser mon corps avec précision, que mon enthousiasme pour la vie était un signe de la présence en moi d’une bonne dose d’énergie vitale et surtout que je m’efforcerais de comprendre sa recherche.
Et maintenant, que pourrais-je dire d’autre ? Sur un plan personnel, peut-être simplement que grâce au génie et à l’audace d’Yves j’ai eu la chance de vivre une expérience intense et passionnante, qui m’a donné le privilège de laisser une trace de ma présence fugitive dans le courant infini de la vie : une signature, par mon corps, de la beauté et de l’énergie cosmique.
Sur un plan théorique, je pense parfois qu'avec son nouveau rapport avec le modèle Yves a ouvert la voie à une réflexion approfondie sur le rapport entre le regard de l’artiste et celui du modèle humain. En fait, en travaillant rue Campagne Première, j’avais l’impression que la création des Anthropométries était une espèce de rituel : l’imprégnation de mon corps par le bleu d’Yves (I.K.B) avait lieu en silence, dans une atmosphère très intense. Yves, avec des gestes qui rappelaient un prêtre antique, m’indiquait comment appliquer la couleur, et avec mon corps imprégné de bleu je me sentais alors un symbole et un instrument de l’énergie vitale.
Aujourd’hui, riche de ma propre expérience du Shinto et du Budo, je vois aussi tout cela comme un travail sur le « Ki », l’essence fondamentale de la vie selon la cosmogonie orientale. Mais j’étais jeune alors et beaucoup plus ignorante et superficielle : la portée conceptuelle de la pensée d’Yves m’échappait certainement, même si j’avais la sensation de vivre un événement exceptionnel dans l’histoire de l’art ainsi qu’une sorte de rite initiatique. Cette sensation était encore plus précise au « Gaz de France », pour les empreintes d’Eau et de Feu. L’atelier était immense, on avait l’impression qu’un vent glacial le traversait, l’hiver de Paris était dur. Mais le contact direct avec les éléments primordiaux - l’eau et le feu - me firent vivre ces moments comme un vrai « rite de passage ».
Je ne le savais pas, alors, mais je sais maintenant que ces expériences ont été et sont toujours essentielles dans mon développement."
Moltedo, Diano San Pietro, Juillet 2006