nov. 1982
Par Catherine Millet
La fusion par le feu
![]() | Yves Klein réalisant une Peinture de Feu (F 2), 1962 Centre d'essais de Gaz de France, Saint-Denis, France, Saint-Denis, France © Succession Yves Klein c/o ADAGP Paris © Pierre Joly et Véra Cardot |
C'est pendant le déroulement de cette exposition que naîtront les premières peintures de feu. Leur mode d'exécution ne sera mis au point que quelques temps plus tard, au Centre d'essais du Gaz de France qui mettra à la disposition de l'artiste des brûleurs industriels au gaz de coke. Le support de ces peintures est un carton suédois rendu résistant à la chaleur grâce à un mélange d'amiante. En réglant l'ouverture du brûleur, en s'approchant plus ou moins du carton, en l'humectant, Klein varie le degré de combustion. Aux tableaux-feu parsemés de brûlures étoilées, dues à des becs de petites dimensions (un peu comme des empreintes du Mur de feu), succèdent des œuvres plus composées où se superposent de plus larges halos. Souvent, le tableau garde la trace des coulures d'eau. Il s'y mêle parfois des taches bleues ou roses, des feuilles d'or, des anthropométries. En effet, il arrive que l'humidification se fasse par l'application du corps mouillé d'un modèle, dont la marque se révèle en plus sombre au moment de la combustion.
Les tableaux de feu représentent, dans l'œuvre de Klein, un moment de synthèse. L'élément est lui-même symbole de cette synthèse. Lors d'une interview télévisée, Klein déclare à Pierre Restany qu'il regarde l'incandescence de la flamme comme l'"expression majeure" de la synthèse des couleurs fondamentales. De plus, l'eau qui "dessine" dans la flamme, fait rêver l'artiste à une conciliation des forces antagonistes de la nature. Klein est l'Hermès de la légende rosicrucienne, figure polymorphe, tenant à la fois de Lucifer et du Christ, Hermès dont le sang rédempteur était couleur de rose, l'"autre" couleur de Klein. Au sujet moderne éclaté, fasciné par le vide et brassant la matière, individualiste tout en affirmant une vocation messianique, le mythe apporte l'espoir de la Grande Synthèse, de la résolution des contraires (ce que symbolise aussi la croix du blason rosicrucien), de l'homme qui, ayant épousé l'ambivalence fon-damentale de la nature, s'est confondu dans le Grand Tout cosmique."
extrait du livre "Yves Klein", Catherine Millet, Paris, Art Press-Flammarion, 1983