• Écrits sur la "sensibilité picturale immatérielle"

Article, 1958

Écrits sur la "sensibilité picturale immatérielle"

Yves Klein

"Qu’est-ce que la sensibilité ? 
C’est ce qui existe au-delà de notre être et qui pourtant nous appartient toujours. La Vie elle-même ne nous appartient pas, c’est avec la sensibilité qui, elle, nous appartient que nous pouvons l’acheter. La sensibilité est la monnaie de l’univers, de l’espace, de la grande nature qui nous permet d’acheter de la vie à l’état matière première ! L’imagination est le véhicule de la sensibilité ! Transportés par l’imagination, nous atteignons la "Vie", la vie elle-même qui est l’art absolu."

"Pour créer, il ne faut jamais se retourner pour considérer son œuvre car alors c’est l’arrêt, c’est la mort. L’œuvre doit être comme un sillage volumétrique, de pénétration par
imprégnation en sensibilité dans l’espace immatériel de la vie elle-même."
Yves Klein, extrait de « Discours prononcé à l’occasion de l’exposition Tinguely à Düsseldorf », janvier 1959


"Voici comment les choses se sont passées : en 1946, je peignais ou dessinais, soit, sous l’influence de mon père, peintre figuratif, des chevaux dans un paysage ou des scènes de plage, soit, sous l’influence de ma mère, peintre abstrait, des compositions de formes et de couleurs. Dans le même temps la « couleur », l’espace sensible pur, me clignait de l’œil d’une manière irrégulière mais obstinée. Cette sensation de liberté totale de l’espace sensible pur exerçait sur moi un tel pouvoir d’attraction que je peignais des surfaces monochromes pour voir, de mes yeux voir , ce que l’absolu avait de visible. (...)
J’ai donc débouché dans l’espace monochrome, dans le tout, dans la sensibilité picturale incommensurable. (...)

"Je m’aperçois que les tableaux ne sont que les « cendres » de mon art. L’authentique qualité du tableau, son « être » même une fois créé, se trouve au-delà du visible, dans la sensibilité picturale à l’état matière première."
Yves Klein, extrait de « Le dépassement de la problématique de l'art », 1959




"Le tableau n’est que le témoin, la plaque sensible qui a vu ce qui s’est passé. La couleur à l’état chimique que tous les peintres emploient est le meilleur médium capable d’être impressionné par « l’événement ». Je pense donc je peux dire : Mes tableaux représentent des événements poétiques ou plutôt ils sont des témoins immobiles, silencieux et statiques de l’essence même du mouvement et de vie en liberté qu’est la flamme de poésie pendant le moment pictural !
Mes tableaux sont les « cendres » de mon art."

"Chacune de ces propositions bleues, toutes semblables en apparence, furent cependant reconnues par le public bien différentes les unes des autres. L’amateur passait de l’une à l’autre, comme il convenait et pénétrait en état de contem- plation instantanée dans les mondes du bleu.
Mais chaque monde bleu de chaque tableau, bien que du même bleu et traité de la même manière, se révélait être d’une tout autre essence et atmosphère; aucun ne se ressemblait, pas plus que les moments picturaux ni les moments pœ́tiques ne se ressemblent. Bien que tous de même nature, supérieure et subtile (repérage de l’immatériel).
L’observation la plus sensationnelle fut celle des «acheteurs». Ils choisirent parmi les onze tableaux exposés, chacun le leur et le payèrent chacun le prix demandé. Les prix étaient tous différents, bien sûr. Ce fait démontre que la qualité picturale de chaque tableau était perceptible par autre chose que l’apparence matérielle et physique d’une part et, d’autre part, évidemment que ceux qui choisissaient reconnaissaient cet état des choses que j’appelle la « Sensibilité picturale »."


"(...) je suis peintre : car la peinture, à mon avis, n’est de la peinture que si le peintre qui l’exécute peut y transmuer, par sa qualité justement de créateur, cette matière impalpable, cette matière picturale vivante qui imprègne le tableau et lui donne la vie éternelle ou tout au moins permanente en fonction de sa durée d’existence périssable. (...)
L’essentiel de la peinture, c’est ce « quelque chose », cette colle éthérique, ce produit intermédiaire que l’artiste sécrète de tout son être créateur et qu’il a le pouvoir de placer, d’incruster, d’imprégner dans la matière picturale du tableau.
Le phénomène propre donc à tous les artistes vrais et qui donc ne saurait être uniquement pictural ou tout au moins réservé aux peintres mais bien à tous les artistes qui savent imprégner leurs œuvres de vie rayonnante, de poésie pure, ou même dit d’une autre manière, ceux qui sont des artistes sont ceux qui savent donner et fixer une âme à leur création ; ça, c’est la création authentique !"
Yves Klein, extrait de « L’aventure monochrome : l’épopée monochrome », 1960 ca.,


"C’est cet « indéfinissable », ce moment poétique ineffable, que je désire fixer sur ma toile puisque mon mode d’être (attention, je ne dis pas d’expression) est de faire de la peinture. Je peins donc le moment pictural qui est né d’une illumination par imprégnation dans la vie elle-même."
Yves Klein, extrait de « L’aventure monochrome : l’épopée monochrome », 1960 ca.



"Je suis le peintre de l’espace. Je ne suis pas un peintre abstrait, mais au contraire un figuratif, et un réaliste. Soyons honnête, pour peindre l’espace, je me dois de me rendre sur place, dans cet espace même."
Yves Klein, extrait de Dimanche 27 novembre 1960 Le journal d'un seul jour, 1960


"La peinture comme la poésie est "l'art de créer des âmes pour tenir compagnie aux âmes"."
Yves Klein, Le rôle du peintre dans la société future...", 1960 ca.



"Mon art n’est pas derrière “les cendres” que sont mes œuvres, mais dedans et autour, comme une aura de ces cendres."
Yves Klein, lettre à John Anthony Twaites, 28 décembre 1960, à propos de la traduction dans la revue Zero de « Yves le monochrome 1960. Le vrai devient réalité », Écrits, op. cit., notes, p. 414. Ce numéro de Zero, le dernier, parut en juillet 1961.