Document, 1960, ca.

Origines de la Carrière Picturale

Origines de la carrière picturale

Issu d’un milieu d’artistes peintres, prend goût à l’art et à la peinture en particulier dès l’enfance. Sans aucun esprit de révolte vis­à­vis de ce milieu dans lequel il vit, il est juste de dire tout de même qu’un certain agacement naît, durant l’adolescence, vis­à­ vis des lois compositionnelles mêmes de l’art et de la peinture, qu’il entend constamment discuter autour de lui. Constatation inconsciente du manque d’ampleur, de liberté vraie, de distance.

La recherche de tout ce que tout le monde appelle «équilibre», ou contradictoirement «déséquilibre», lui semble être le motif de la sclérose de son entourage.

Dans le cadre d’une petite crise ordinaire et classique de mysticisme adolescent, en 1946­1947, simultanément :

A/ Début de la pratique du judo, qui lui fera comprendre plus tard que l’espace pictural est avant tout le fruit d’une ascèse spirituelle : le judo, en effet, est la découverte par le corps humain d’un espace spirituel.

B/ Début des études cosmogoniques « Rose­Croix ».

C/ Premières tentatives monochromes à la gouache, au pastel, sans aucune prétention picturale à l’époque, mais plutôt pour tenter de représenter le ciel bleu, pur et sans nuages, de la Côte d’Azur qu’il contemple de longues heures allongé sur la plage.

Une sorte de jeu entre camarades du même âge (dix­huit à vingt ans) crée la nécessité à l’époque d’annoncer de quel royaume l’on est roi... Yves déclare, lui, être le propriétaire de ce ciel bleu.

Ses premières peintures sont donc d’un bleu très clair de préférence. Elles sont réalisées dans un esprit plutôt héraldique et de fortune: en somme, la réalisation de ces monochromes est, à l’origine, une idée de s’improviser un blason.

Il est cependant important de dire aussi que, s’il est vrai que dès l’instant où l’artiste a fait son choix d’un motif ou d’un paysage dans la nature, ce paysage n’appartient plus à la nature, mais à l’artiste (d’après Gœthe), alors Yves, qui s’approprie le ciel à dix­ huit ans, possède là son premier grand tableau.

Dans le même temps, vit et meurt presque aussitôt une tendance picturale d’empreintes de mains et de pieds, de végétaux et d’animaux. Il lui semble remonter le néant de la personnalité par ces marques d’effet un peu trop psychologique. Il abandonne cette manière rapidement, persuadé qu’elle manque de réalisme constructif et positif.

Par contre, il est très impressionné par d’autres marques : celles que tracent la transpiration et la poussière des grands combats de Judo sur un tapis de Judo neuf et, par conséquent, tout blanc.

1947­ 48 ­49 et 1951: parallèlement au Judo, c’est bien la monochromie qui prend pied et s’installe toute­puissante dans la vie d’Yves Klein. Première entrevue consciente de tenter d’assimiler cet état des choses à une possibilité picturale réelle, vivante et valable. Réalisation d’une fresque bleue monochrome à Nice, dans une cave, sorte de lieu de réunion pour un trio d’amis auquel il appartient : le pœ̀te Claude Pascal, le peintre Arman et lui.

Création de la première symphonie monoton. Évolution digressive vers une possibilité musicale du mythe Kiai prolongé en Judo.

Première entrevue des possibilités effectives de se libérer des forces de la pesanteur, affective comme physique. Rêves de lévitation à cause du Judo. Pendant tout ce temps, de 1948 à 1952, voyage constamment à travers toute l’Europe.

Début de l’époque de dépassement de la problématique de l’art

Lors des premières présentations des peintures monochromes d’Yves, en privé à Londres, en 1950, les discussions soulevées autour de ce sujet lui font prendre successivement conscience du problème de la transparence picturale, problème très complexe puisqu’il s’agit non seulement d’une transparence visuelle de la dominante, mais d’une transparence par le rayonnement affectif du tableau. Pour Yves, tous les tableaux sont dès lors comme des fenêtres de prison dont les lignes dessinent les contours des formes, amènent plusieurs couleurs, forcent à la composition; et ces lignes, avec toutes leurs conséquences, sont comme les barreaux d’une prison sur le tableau. Le lecteur d’un tableau à lignes, formes, composition, reste prisonnier de ses cinq sens : dès lors, pour Yves, le problème de la peinture n’est plus fonction de l’œil.

1952 à 1954 : voyage en Extrême­ Orient et séjour au Japon.

Au Japon, petite manifestation monochrome entre amis peintres, judoka et critiques d’art.

À Tokyo, à la même époque, projet d’un film abstrait sur la monochromie et les empreintes, et surtout le principe des suaires.
Pratique intense du Judo et arts martiaux anciens. Atteint le grade de « Ceinture Noire », quatrième Dan, de Tokyo.

1954 : retour en Europe. Directeur technique de la Fédération de Judo d’Espagne.

Publication d’un recueil de reproductions en couleur des propo­ sitions monochromes récentes aux Éditions F. de Sarabia (Madrid).

Publication des Fondements du Judo chez Bernard Grasset éditeur (Paris).

En 1955, expose à Paris une vingtaine de tableaux monochromes de différentes couleurs ; à cette occasion, il remarque tout de suite une chose importante : le public, en présence de la cimaise où sont accrochées plusieurs toiles de différentes couleurs, reconstitue les éléments d’une polychromie décorative. Prisonnier de son optique apprise, ce public, bien que choisi, n’arrive pas à se mettre en présence de la couleur d’un seul tableau.

C’est ce qui provoque son entrée dans l’«époque bleue». Par le bleu, la grande couleur, il cerne de plus en plus l’indéfinissable dont a parlé Delacroix dans son journal, comme étant le seul vrai mérite d’un tableau.

Réalisation technique des monochromes avec un rouleau, non pas dans un esprit de mécano facture mais dans un esprit de recherche de la « distance » par l’anonymat de l’instrument qu’est le «rouleau». Ma psychologie personnelle n’imprègne pas le tableau, lorsque je peins avec un rouleau. Seule la valeur colore en soi rayonne en qualité pure et propre2.

Présentée en 1957 à la Galerie Iris Clert et à la Galerie Colette Allendy, l’époque bleue fait l’initiation d’Yves. Il s’aperçoit que les tableaux ne sont que les cendres de son art; l’authentique qualité du tableau, son être même, une fois créé, se trouve au­delà du visible, dans la sensibilité picturale à l’état matière première : c’est alors qu’il décide de présenter chez Iris Clert «Le bleu immatériel», l’année suivante.

Époque pneumatique, ou le vide

L’objet de cette tentative : créer, établir et présenter au public un état pictural sensible dans les limites architectoniques encore, hélas!, d’une salle d’exposition de peinture. En d’autres termes, création d’une ambiance, d’un climat pictural réel et, à cause de cela même, invisible.

L’idée générale est de s’approprier le vide. Retour au troc pour la vente de ces immatériels : Yves refuse l’argent pour exiger de l’or pur. De la matière pour de l’immatériel !

Afin de situer son immatériel hors de toutes limites architectoniques ou autres, entre des zones de sensibilité picturale plus libres encore, Yves déclare en Sorbonne, en 1959 : « D’abord, il n’y a rien... Ensuite il y a un rien profond... puis une profondeur bleue » (d’après Gaston Bachelard). 

1958 : démonstration chez Robert Godet des premières recherches d’empreintes avec modèles : principe du pinceau vivant. Tentative de résoudre le problème de la distance. Le pinceau vivant résout le problème de la distance mieux encore que le rouleau. Les formes réapparaissent [?] déjà [?] transcendées par l’anonymat tout­ puissant, décomposées en états vitaux premiers et essentiels3.

1957­58: de cette évolution vers l’immatériel naît l’architecture et l’urbanisme de l’air, en collaboration avec l’architecte Ruhnau, avec qui il travaille pendant deux ans à l’édification du nouvel Opéra de Gelsenkirchen (Ruhr).

L’immatérialisation de l’architecture est en chemin. C’est un fait. Et le principe lui­même d’utiliser de nouveaux matériaux pour une architecture vraiment dynamique et immatérielle enfin est important. L’air pulsé forme des écrans protecteurs qui constituent des toits. L’air devient ainsi un matériau de construction.

Utilisation de jeux d’eau et de feu comme éléments décoratifs urbains et extrovertis, pour lier encore plus extérieur et intérieur.

Idée de climatiser des régions entières. Conférence à la Sorbonne en juin 1959.

En décembre 1959, les travaux de Gelsenkirchen sont terminés. Yves Klein reprend immédiatement ses recherches picturales par empreintes.

Manifestation : Anthropométrie de l’époque bleue, mars 1960.

Avril 1960 : Cosmogonies. Réalisation de peintures avec l’aide de manifestations atmosphériques telles que la pluie, le vent ou la foudre.

« Qui ne croit pas aux miracles n’est pas un réaliste » (Ben Gourion). La voie monochrome est enthousiasme pur. Elle montre un chemin clair vers la liberté vraie de l’homme dans la nature et dans l’espace.
Technique Photocopie